Urgesat ! SF Page 2 : de l'anti-utopie
20.4.04
 
*************************


Jack Vance : « Wyst : Alastor 1716 »
Editions françaises :
1 : éditions J’ai lu n°1516 (1983) ;
2 : troisième partie du recueil « Les mondes d’Alastor », éditions J’ai lu n°6793 (2003).
Edition originale : « Wyst : Alastor 1716 » (1978).
Traduit par Michel Demuth.
(Merci à Jacques Garin)

« Question : Quelle est la différence entre le communisme et le socialisme ?
Réponse : Le communisme militarise le travail alors que le socialisme militarise les loisirs. »
Zek sur le forum liberaux.org.


L’amas d’Alastor est une zone de la galaxie comptant environ 30 000 étoiles et 3 000 planètes habitées par des humains. Les modes de vie et les institutions sont bien sûr très différents d’une planète à l’autre. A la tête d’Alastor, se trouve le Connatic qui demeure sur la planète Numénès. Sa politique est surtout la non-intervention dans les affaires intérieures des planètes.

Les trois romans de Jack Vance de la série « Alastor » se situent tous sur des planètes différentes et peuvent se lire indépendamment les uns des autres.
Le premier, intitulé « Trullion » raconte les mésaventures de Glinnes qui veut récupérer son héritage à son retour sur Trullion après avoir passé dix ans dans la « Whelm », l’armée du Connatic.
Le second roman, « Marune » conte la quête de Pardero qui s’est réveillé un beau jour amnésique sur l’astroport de Carfaunge. Cette quête de sa mémoire le conduira sur la planète Marune...

Le troisième roman, « Wyst » donc, est assez différent à la fois des deux premiers et des autres romans de Jack Vance car celui-ci nous laisse entrevoir quelles sont ses idées politiques.
La société décrite dans « Wyst » est en effet une société anti-utopique, ce qui est probablement un cas unique dans l’oeuvre de Jack Vance.
Le pays d’Arrabus sur le monde de Wyst est en effervescence car le régime actuel basé sur l’égalisme va fêter ses cent ans. Nous assistons à la découverte de cette société par Jantiff Ravensroke, un jeune artiste peintre originaire de la planète... Zeck.
L’égalisme est une doctrine visant à libérer l’homme de la servitude du travail et à privilégier les loisirs. Sur Wyst, les habitants travaillent treize heures par semaine, ils habitent deux par deux dans des immeubles collectifs et se nourrissent de plats très simples et assez mauvais appelés « bourron », « driquant » et « branluche » fournis à tous par des restaurants collectifs. Pas ou peu d’intimité, les couples ne sont pas stables et la famille n’existe plus. L’idéal est de s’amuser le plus possible avec ses amis. Le vol n’est pas condamné car il est vu comme un moyen de redistribuer les biens : il n’y a aucune raison pour qu’un membre de cette société ait quelque chose de plus que les autres. De la même façon, avoir une compétence particulière est assez mal vu.
Paradoxe et contradiction de ce système : les problèmes techniques comme l’entretien des machines sont confiés à des entrepreneurs extérieurs à la société « égalistique » qui prennent fort cher pour leurs services.

Au début du récit, une délégation arrive de Wyst pour rencontrer le Connatic et lui soumettre plusieurs demandes car la situation devient critique. Le mode de vie régnant sur Wyst attire en effet des immigrants d’autres planètes, ce dont se plaignent les représentants (mais dans le cours du récit, on se rendra compte que ces immigrés ne sont pas si nombreux que ça et qu’ils servent plutôt de bouc-émissaires). Comme l’égalisme est censé représenter le futur de l’humanité, ils demanderont au Connatic le versement d’une subvention perpétuelle afin de combler les déficits...

Plus tard, Jantiff découvrira que les représentants de Wyst trament un complot dont les conséquences pourraient être terribles. Démasqué, il ne devra son salut qu’à la fuite et réussira à se réfugier dans le sud du continent hors de portée de ses ennemis. Ce sera l’occasion pour Jack Vance de nous présenter une micro-société plus conforme à ce dont il nous a habitués.

« Wyst » n’est pas le meilleur roman de Jack Vance, loin de là. Le mélange du talent inventif de Jack Vance avec une démonstration politique n’est pas toujours heureux et certains passages m’ont paru un peu longs. Jack Vance fait aussi un peu trop confiance à mon goût au souverain éclairé pour remettre les choses en ordre. Après tout, le Connatic avec son administration, son armée, son pouvoir absolu ressemble assez à ce que nous connaissons en France avec un président de la république nanti de pouvoirs extravagants. Dans le monde réel, rien n’empêcherait le Connatic d’user et donc d’abuser de son pouvoir...

Sylvain

P.S. : Le roman est suivi d’un glossaire qui donne quelques informations sur le pays d’Arrabus. On apprend que le livre fondateur de l’égalisme a été écrit par un certain Ozzo Disselberg et qu’il s’intitule « Protocoles de la Justice Sociale ». Dans ce manifeste, Disselberg explique que l’industrie est sous-utilisée et qu’il y a moyen de fournir facilement à tous ce qui était réservé jusqu’à présent aux seuls privilégiés. Cette croyance en la sous-utilisation des capacités productives existe vraiment. C’est ce que croyait encore par exemple Léon Blum dans les années 1940 lorsqu’il expliquait pourquoi le gouvernement du « Front populaire » avait imposé la limite de 40 heures de travail hebdomadaire.
Références :
Léon Blum : « L’histoire jugera », éditions de l’Arbre, 1945, pages 302 et 303 ;
Philippe Simonnot : « L’erreur économique », éditions Denoël, 2004, pages 363 et 364.

Extraits :

Comment renflouer les caisses de l’Etat :
« - Vous recevrez votre convocation avant peu, ajouta-t-il. C’est notre destin à tous. On s’y retrouve tous, comme des automates, sur une paillasse, pour l’opération. Ils pompent nos glandes, ils distillent notre sang, ils boivent un peu de notre moelle. Généralement, ils disposent de nos organes les plus intimes, mais ne vous en faites pas : votre tour viendra.
Cet aspect de la vie arrabine était encore inconnu de Jantiff. Il regarda les immeubles en fronçant les sourcils.
- Et ça prend combien de temps ?
- Deux jours, plus deux ou trois jours pendant lesquels on est complètement gâteux. Mais il faut bien exporter, ne serait-ce que pour payer l’entretien, et puis deux jours, qu’est-ce que c’est par rapport à une année, et dans l’intérêt de l’égalisme ? »

« Wyst » page 70 (chapitre 4) de la première édition J’ai lu.

Les dissidents ? Quels dissidents ?
« Jantiff s’approcha de Sarp et lui demanda :
- Que se passe-t-il là derrière ?
Sarp suivit son regard avec une expression de mépris.
- Hélas, Jantiff ! Ce que vous voyez là, c’est l’infirmerie des enfants méchants. Le Camp Pénitentiaire d’Uncibal, pour tout dire, auquel vous et moi avons eu la chance d’échapper. Mais il faut toujours être sur ses gardes que jamais les Mutuels ne vous accusent de sexivation.
Jantiff le regarda, ébahi.
- Tous ces gens sont donc des sexivateurs ?
- Pas du tout. Il y a là toutes sortes de criminels. Des embusqués, des débrouillards, sans parler des flamboyants, des artistes et des paillards.
Jantiff observa les prisonniers et ne put s’empécher de ricaner.
- Les meurtriers circulent en toute liberté et l’on punit les sexivateurs et les flamboyants ?
- Mais bien sûr ! s’exclama Sarp avec vigueur. Des tas de gens peuvent être tués, mais il n’y a qu’un seul égalisme à corrompre ! Alors gardez votre pitié : ces gens ont tous souillé notre belle société et maintenant ils extraient du minerai pour le Syndicat Métallurgique. »

Idem pages 136 et 137 (chapitre 7).

Liens :

- Ma présentation d’un autre roman de Jack Vance : « Un monde d’azur ».

- Un site en français réalisé par Jacques Garin entièrement consacré à Jack Vance.





Powered by Blogger